“Nos désirs font désordre”, une invitation à Woodstock au Théâtre de Chaillot
Nos désirs font désordre de Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours est une pièce surprenante, qui a été à l’affiche du Théâtre de Chaillot jusqu’au 22 janvier. Cette traversée de sentiments aboutit à une explosion sur scène, à la Woodstock !
Pendant que le public s’installe, les danseurs encapuchonnés font des exercices d’assouplissement. Après un moment d’obscurité, ils retirent leurs vêtements et s’assemblent pour former une ronde plutôt étrange.
Sur le plateau, deux assistants artistiques
Les onze danseurs, à la morphologie différente, deviennent des sculptures aux visages parfois grimaçants. Les mouvements sont saccadés, la peau est déjà fragmentée par des cordelettes colorées. Dans cette pièce, la bande-son techno donne le tempo et rappelle l’ambiance des discothèques. Les battements plus intenses renvoient à une atmosphère de tension, à une lutte. Sur scène, des cris de ralliement appellent au sursaut. Mais des moments de crise provoquent des tremblements – des corps sont cloués au sol. D’autres danseurs se soutiennent, les corps s’étirent et créent des figures dans un élan solidaire.
Fabio Da Motta, expert dans l’art du shibari (attacher en japonais), intervient pour lier au dos les mains des danseurs isolés. Mais même entravée, la danse continue son avancée. De nouvelles cordelettes sont ajoutées et coincent encore des parcelles de peau. Les bruitages d’une musique expérimentale évoquent les chaînes qui s’abattent sur les interprètes ; si des mouvements acrobatiques jaillissent, des danseurs restent hors du groupe.
Une autre musique, au son foisonnant de la nature traduit un phénomène de régénérescence et d’apaisement. Dorothée Sullam, artiste florale talentueuse, entre en scène. Elle métamorphose les interprètes par des fleurs, des végétaux. Un tableau s’anime dans lequel les deux assistants artistiques apportent différentes touches : les danseurs à la gestuelle très lente sont parés d’ornements floraux, et Fabio Da Motta dessine de nouveaux motifs par de nombreuses cordelettes.
“C’est vous la tête dans les fleurs qu’on croirait sans souci.” Alfred de Musset
Une ambiance déchaînée
La pièce semble bientôt terminée, les danseurs montent les marches du Théâtre de Chaillot, pour offrir au public les éléments de leurs parures. Des mains se tendent et cueillent les fleurs.
Les deux chorégraphes ont souhaité montrer par cette pièce-épopée les réactions face aux difficultés, avec un message d’espérance : “Nous portons sur scène une communauté de femmes et d’hommes qui traduisent l’histoire de notre humanité. (…) Le changement peut enfin naître dans les corps quand la peur devient pouvoir. Dans notre réalité, sur scène, nos pensées deviennent des fleurs.”
Avant les applaudissements, les danseurs ont rejoint le plateau. Mais tout est suspendu en un instant : un danseur immobile regarde le public, il vient de tomber et a entrainé avec lui un pot de fleurs. C’est en fait une nouvelle étape de la pièce qui bascule dans un moment de folie. Au son de la musique culte de Led Zeppelin, les danseurs retirent leurs cordelettes-chaînes et s’agitent dans une ambiance déchaînée ; c’est inattendu et réussi. Tout est renversé ! Il y a aussi du second degré avec un interprète qui s’approche et hésite à jeter de l’eau sur les spectateurs. Le plateau s’est transformé en un concert à la Woodstock ! Le titre de la pièce est un slogan de la période de la libération sexuelle des années 1970. Sur scène, les corps se rapprochent avec sensualité. La terre des pots de fleurs est devenue de la boue, et les danseurs apparaissent dans d’immenses glissades à même le sol, très applaudies.
Nos désirs font désordre puise dans les arts visuels appliqués jusqu’aux corps des danseurs. Cette pièce proposée par Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours, qui ont fondé la compagnie Sine Qua Non Art, décloisonne les arts et étonne par ses perspectives. Jonathan Pranlas-Descours est également interprète, il danse à l’avant de la scène pour annoncer l’éveil de la nature, les tableaux floraux – certains de ses mouvements font penser à la “posture” d’oiseaux. L’atout de la pièce est l’enthousiasme provoqué au sein même du public, par la dernière partie, après des moments de tension et d’apaisement.
Fatma Alilate
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